Au centre de détention de Caen, la première époque de la publication “Quand ?” (1999-2003)

October 2020

Au centre de détention de Caen, la première époque de la publication “Quand ?” (1999-2003)

PAR MARC RENNEVILLE · PUBLIÉ 24 OCTOBRE 2010 · MIS À JOUR 15 OCTOBRE 2020

Quand ? février 2003 n°22

C’est en mai 1999 que trois détenus du Centre pénitentiaire de Caen persuadent la direction de l’établissement de tenter une nouvelle fois une expérience de presse au sein de la détention. Les éphémères expériences antérieures s’étaient limitées à la publication de quelques numéros de Drôle d’immeuble, d’Oxygène, du Grillon. ils parviennent à persuader le directeur de l’époque Jean-Louis Daumas, un ancien éducateur entré dans l’Administration pénitentiaire en 1985, ancien directeur du centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis sur lequel il a publié La zonzon de Fleury, et reçoivent le soutien du Juge d’application des peines qui avait alors en charge les 420 prisonniers du centre, parmi lesquels 45 condamnés à perpétuité. A cette époque, la moyenne d’âge est élevée, 46ans, et ce vieillissement de la population carcérale, composée principalement d’auteurs de crime sexuels, ne sera pas sans influencer la tenue d’une chronique médicale régulière et la publication de notices sur les difficultés de la libération conditionnelle.

Nous avons choisi d’étudier une première période de cette publication, de 1999 à 2003, car l’actualité pénitentiaire est fort riche et est commentée par le périodique. Des lacunes dans les collections disponibles de Quand ? en 2003-2004, un changement de maquette et d’équipe à partir de juillet 2004 ( de la couleur dans le bandeau de couverture) incitent, par prudence, à isoler ce premier moment d’une publication qui continue son bonhomme de chemin en 2010. La régularité et la durée de cette publication doivent être soulignées, car elles tranchent avec des essais de presse plus éphémères, notamment dans les maisons d’arrêt. La longue durée des peines explique probablement la stabilité des comités de rédaction, des noyaux de 4 à 6 détenus.

Jusqu’en mai 2001, un instituteur en poste au centre de détention est le référent du journal, aux côtés d’un moniteur de sport. A cette date, il est remplacé par une assistante de formation qui avait été à l’origine du journal des mineurs de la maison d’arrêt de Caen. L’encadrement apprécie la publication car elle « permet un dialogue entre les personnes condamnées et et les professionnels », selon les mots du sous-directeur qui pense que « c’est très bien pour l’ambiance de l’établissement », ceci en juillet 2001. Le chef de la détention, interviewé en septembre de cette même année ajoute à propos du journal : “Je trouve que c’est quelque chose qui est bien fait” . Des publicités d’entreprises caennaises et de Basse-Normandie apportent quelques ressources. C’est le cas d’Ecomarché, du Zénith, de l’imprimerie Charles Corlet, de la librairie Aquabulle. Le journal est d’abord diffusé à l’extérieur sur abonnement, puis est disponible dans quelques points de vente de l’agglomération caennaise à partir d’avril 2002.

Informations et services aux détenus

Faire connaître le fonctionnement du Centre pénitentiaire est l’une des missions de la publication. C’est aider à l’intégration des arrivants et faciliter la circulation de l’information au sein du centre. Le périodique présente les attributions des différents fonctionnaires pénitentiaires, les missions du Service pénitentiaire d’insertion et de probation, le rôle du Juge de l’application des peines. La parole est donnée au nouveau sous-directeur en juillet 2001, au surveillant-chef de détention, en septembre 2001. Dans cette interview, le chef de la détention explique un rouage essentiel dans le fonctionnement du centre pénitentiaire de Caen, le PEP, le Projet d’exécution de peine : « Il permet d’accompagner le détenu dans son évolution tout au long de sa peine jusqu’à sa libération. Le PEP travaille avec tout un groupe : le directeur, la psychologue, le personnel de surveillance et les travailleurs sociaux, les ateliers, l’UCSA, le SMPR, ainsi que le secteur scolaire et sportif. Il n’est ni plus ni moins que le reflet de votre évolution pendant votre détention. Il concerne d’une part votre vie au quotidien dans l’établissement, que ce soit travail, scolarité, loisirs, sport, propreté personnelle et de cellule mais aussi votre réinsertion sociale et professionnelle. Il sert notamment aux permissions, placements en chantiers extérieurs, libérations conditionnelles ainsi qu’aux réductions de peines. » La marche à suivre pour « cantiner » est exposée à l’aide de tableaux puisque les achats peuvent être effectués par le biais de sociétés de vente par correspondance ou par le « chauffeur » de l’établissement, pour certains articles qu’il se procure auprès d’entreprises locales.

Plusieurs clubs, avec des bureaux élus, fonctionnent au sein du centre pénitentiaire durant cette première décennie du XXIe siècle. Un club d’échecs, “Chessmann”, un club de poterie, un club informatique, le club maquettes et ses difficultés avec le club bricolage, le club du théâtre de l’Espoir, l’atelier de restauration de meubles anciens, le club musique qui, en 2001, enregistra un CD de neuf titres. L’atelier peinture est invité à plusieurs reprises à exposer des œuvres hors du centre, en particulier à Touvelle. C.I.S.7 video (Communication, information et sport) est un atelier video qui organise avec un public de prisonniers des interviews de personnalités : Bruno Masure, Christine Boutin, les diffuse dans la détention, comme le périodique Quand ? Mais c’est aussi atelier de création et de post-production vidéo, fondé en 1997 ou 1998, sous le nom de Mag Perspectives, proposant ses services pour la communication des entreprises de la région. Comme pour le journal et ses liens précieux avec l’imprimerie du centre, Artec, la dimension culturelle souhairerait être étroitement liée à la formation professionnelle. Cinq détenus s’occupaient de cet atelier à l’automne 2000 et, dans une interview, ils expliquaient les nécessaires autocensures pour pouvoir diffuser leurs émissions et se défendaient d’être la vidéo de la direction de l’établissement [1].

Quand ? avril 2002 n°18

Les conférences des Alcooliques Anonymes et leurs thérapies de groupe animées chaque semaine par une visiteuse, et ceci depuis 1975 [2], les initiatives pédagogiques des étudiants du GENEPI [3], les spectacles présentés par la troupe de l’Armée du Salut [4]. Plusieurs articles dénoncent certaines sectes et offrent les adressses d’associations militant pour défendre les familles de leur emprise [5].

Les résultats des compétitions sportives sont régulièrement publiés : tournois de tennis et de badminton, rencontres de tennis de table, concours de pétanque, athlétisme, championnat de football. Quelques activités ponctuelles en dehors du C.D. sont présentées : sorties VTT, canöé et trois jours de rame en Seine.

Quand ? septembre 2001, n°15

Pour distraire les prisonniers, quelques chroniques présentent des destinations touristiques, un reportage effectué par un détenu du comité de rédaction au Mémorial de Caen, un récit sur le bagne. Quelques bonnes feuilles du livre d’un détenu du centre sont offertes en 2003. Quelques poèmes, comme dans beaucoup de journaux de détenus, contribuent à ces “évasions littéraires”. Quand ? assume donc cette fonction informative souhaitée par la hiérarchie de l’établissement, mais il ne se contente pas d’informer sur la situation intérieure du centre pénitentiaire. Il évoque les débats suscités par des réformes essentielles qui concernent leur quotidien et leur avenir.

L’espoir d’une loi de réforme de l’Administration pénitentiaire.

En 2000, le livre de Véronique Vasseur Médecin chef à la prison de la santé pointe un certain nombre de dysfonctionnements au sein de la prison de la Santé. Le livre est un best seller. Deux commissions d’enquête parlementaires sont mises en place, au Sénat et à la Chambre des députés. Cela n’était pas arrivé depuis la commission d’enquête parlementaire présidée par le Vicomte d’Haussonville en 1872. Jusqu’à l’élection présidentielle de 2002, les débats à propos d’une réforme des prisons, d’une grande loi pénitentiaire suscitent beaucoup d’espoir, et Quand ? s’en fait l’écho. L’éditorial du n°8, publié en juillet 2000, reproduit certaines des déclarations du rapporteur Jacques Floch, député de Loire-Atlantique, sous le titre Cauchemar. Il est question d’une augmentation significative du budget de l’A.P. , d’une autorité indépendante de surveillance de tous les lieux d’enfermement, de contrats de travail pour les détenus et d’un revenu minimum pour les indigents. Le seul commentaire de la rédaction est significatif : “Enfin !”. Mais l’équipe du journal craint les désillusions, une réforme partielle, insuffisante. Dans l’éditorial du n°13 de mai 2001, ils citent des “mesures modestes” pour désencombrer les détentions et évacuer les détenus gravement malades. Ils ajoutent : “Propositions qui arrangent mais ne dérangent pas les politiques et la magistrature ; où est la refonte globale du système pénitentiaire ? Il faut aussi revoir le travail des détenus en détention, la rémunération afin d’éviter de les payer comme des esclaves. Je croyais que l’esclavage était aboli !” L’avant-projet de loi de la garde des Sceaux Marylise Lebranchu, présenté le 18juillet 2001 et qui devait être soumis au parlement à la fin de 2001, est mentionné en première page du numéro de juillet de cette année-là. Les rédacteurs reproduisent des extraits du quotidien le Monde en insistant sur le projet de « contrat de travail pour les détenus » et sur une allocation mensuelle à verser aux détenus indigents. La publication reproduit également certaines des propositions de réforme de l’Association française de criminologie et un article du Monde de Cécile Prieur. Dès le mois de septembre 2001, le périodique reproduit un article de La Vie titré « L’occasion manquée ?” L’avant-projet de loi déçoit. Il est trop limité selon l’Observatoire International des Prisons (OIP) et les six mois de préparation au sein du Conseil d’Orientation Stratégique (COS) n’ont abouti qu’à un projet qui ne comble pas les attentes des acteurs du monde carcéral, en particulier des détenus.

Au coeur des débats sur la réforme des prisons, le périodique multiplie analyses et interviews sur l’état de la population carcérale française et du parc d’établissements. Les statistiques pénitentiaires sont présentées à plusieurs reprises. En juillet 2000, le journal reproduit un texte d’Anne Kensey de la direction de l’administration pénitentiaire sur “l’histoire familiale des hommes détenus”. Elle y souligne à la fois la jeunesse des détenus, mais aussi le vieillissement de la population carcérale, les corrélations entre appartenance à des milieux défavorisés, les études courtes et les condamnations.

Le ton du périodiques est presque militant. Au coeur du n°8, la rédaction a reproduit un article de Dominique Simmonot publié par Libération le 31 mai 2000. Il s’agit d’une biographie et d’un portrait de l’avocat Thierry Lévy, qui venait d’être élu président de l’Observatoire International des Prisons. En présentant les livres de Véronique Vasseur (2000), d’Anne-Marie Marchetti sur les Pauvretés en prison (1997), les rédacteurs font référence à Surveiller et punir de Michel Foucault (1975) et au combat qu’il anima au sein du GIP ( Groupe d’information sur les prisons). Ils concluent ainsi : ” Dans les années 70, le GIP (…) avait réussi cette gageure : sensibiliser l’opinion publique jusqu’à donner mauvaise conscience chaque fois qu’il y avait problème dans les prisons. C’est le travail du GIP qu’il faut continuer, avec éclat et ténacité, comme le fait depuis des années l’Observatoire International des Prisons. Je crois que, dans notre journal, nous y sommes prêts. Cette cause est la nôtre.” [6]. Il est fait référence à cette organisation dont l’Administration pénitentiaire déplorait les attaques dans plusieurs exemplaires de la revue. Ainsi dans le n°12 de mars 2001, un encadré figurant sous l’éditorial évoque la première rencontre régionale de l’OIP dans l’Ouest à Cesson-Sévigné. C’est aussi la reproduction d’un éditorial de Jean Daniel paru dans le Nouvel Observateur du 20 janvier 2000 : “les prisons de la honte”. Dans ce même numéro, on peut lire un texte de José Bové et François Dufour, de la Confédération paysanne. Le leader du Larzac, qui venait de subir quelques mois de prison à Villeneuve-lès-Maguelones, usait de son ton habituel pour dénoncer plusieurs aspects de la politique pénitentiaire et judiciaire : des condamnations en fonction des tribunaux, le non-cumul des condamnations, la privatisation rampante des prisons, bien évidemment, les manoeuvres de l’entreprise Mac Donald. Un court texte de deux membres de la rédaction, dans le n°8, synthétise plusieurs revendications concernant le fonctionnement de la justice. Ils mettent en cause les pouvoirs du juge d’instruction, la détention préventive, la non uniformité des condamnations, l’encombrement des tribunaux, les jurés populaires et l’oralité des débats, l’influence du président des assises sur les jurés.

La déception, la désespérance, pour ne pas dire la colère sont perceptibles à l’approche des élections présidentielles de 2002. L’introduction à une interview de la sociologue Anne-Marie Marchetti en témoigne : “A l’approche des élections, comme prévu, l’horreur carcérale et les défaillances de la politique pénitentiaire, qui avaient mobilisé jusqu’aux parlementaires durant l’année 2000, ont laissé la place, dans les préoccupations médiatiques et politiques, à la thématique de l’insécurité. Le journal reproduit les propositions des candidats en ce domaine avec cette appréciation : « Démagogie, quand tu les tiens ! » Le centre pénitentiaire de Caen comptait en 2002 beaucoup de détenus ayant de longues peines à subir, avec des peines de sûreté incompressibles. Quand ? du mois de mai 2002 reproduit une interview de la sociologue Anne-Marie Marchetti, à propos de son livre “Perpétuités, le temps infini des longues peines”, interview reprise du périodique Mouvements.

L’octroi de la libération conditionnelle

Après de longues détentions, souvent supérieures à dix années, la liberté, l’extérieur effraient certains détenus. Pour les aider à reprendre pied, le journal multiplie les adresses utiles d’oeuvres caritatives situées dans l’agglomération caennaise et des conseils pratiques. Dans le n°13 de juin 2001, le journal présente le foyer « le Tremplin » qui accueille des hommes seuls privés d’hébergement, l’association « Revivre », plus spécialement chargée du contrôle judiciaire, institué en 1970 comme substitut à la détention provisoire. L’ancien condamné à mort Jacques Lerouge présente, dans une interview, l’Aperi (Association d’aide aux personnes en voie de réinsertion, située à Neuves-Maison. L’association avait ouvert une ferme dans l’Oise pour accueillir des sortants ayant subi de longues peines [7]. C’est l’occasion de dresser un portrait de ce détenu qui avait subi vingt-deux années de prison, mais surtout d’évoquer les difficultés rencontrées à sa sortie de prison en décembre 1984. La métamorphose de Philippe Maurice, condamné à mort pour le meurtre de deux policiers, en docteur d’histoire médiévale de l’Université est rapidement citée (reproduction d’un article de Dominique Jamet dans le n°12 de mars 2001). Il venait de publier De la haine à la vie, après avoir subi vingt-trois années de détention. Pour aider la réinsertion, après la libération, Quand ? présente d’autres itinéraires d’ex-détenus. En septembre 2001, un portrait de Michel Sounalet est offert aux détenus du centre. Ce braqueur a connu la prison dès l’âge de 22 ans, a accumulé les années de détention – une peine de dix ans de travaux forcés et une peine de réclusion criminelle à perpétuité prononcée en 1965 – pour ne sortir de la maison centrale de Riom qu’en 1992, à l’âge de 57 ans. Il enchaîne ensuite les missions pour Pharmaciens sans frontière.

Quand ? Avril 2002, n°18

Comme dans beaucoup de journaux de cette époque qui vit une réforme profonde des conditions d’octroi de la libération conditionnelle ( loi du 15 juin 2000, entrée en vigueur début 2001), les Juges d’application des peines sont interviewés (cinq pages très denses dans le n°12 de mars 2001) La loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000 a considérablement modifié les conditions d’octroi de la libération conditionnelle des longues peines. Le Juge d’application des peines a désormais le pouvoir, dès lors que la peine prononcée est inférieure à dix années, ou si elle est d’une durée supérieure mais que le reliquat de peine est inférieur à trois années, de décider des libérations conditionnelles. Les aménagements de peines et les libérations conditionnelles pour les condamnés à des peines supérieures à dix années, sont prononcés par la juridiction régionale de la libération conditionnelle, et non plus par le Garde des Sceaux. Le juge d’application des peines savait que les détenus du centre étaient avides de précisions sur cette nouvelle juridiction qui allait prendre en charge leurs destinées. Composée de trois magistrats, présidée par le président de la chambre d’instruction, elle comprenait également deux juges d’application des peines. Pour les détenus de Caen, le rôle des experts dans l’octroi de la libération conditionnelle est crucial. Ils se prononcent sur l’éventuelle dangerosité du détenu. Le journal de juin 2001 pose cette question au Juge d’application des peines : « Pouvez-vous communiquer aux détenus les rapports des expertises médicales ordonnées par vous-même ? ». Il répond ainsi : « Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence qui juridictionnalise une partie de l’application des peines, les avocats peuvent consulter, y inclus les rapports d’expertises médicales ordonnées par le juge d’application des peines, les pièces des dossiers de demande de libération conditionnelle, placement extérieur ou semi-liberté, sous réserve qu’ils aient été désignés pour assister le détenu à l’origine de la requête. »

Chaque année, le juge de l’application des peines dresse un bilan des requêtes en libération conditionnelle présentées par les détenus du centre. Un an après l’entrée en vigueur de la loi, le périodique dresse un bilan de son application : 103 détenus du centre pénitentiaire ont présenté une requête au cours de l’année 2001. 63 ont été examinées par le juge d’application des peines, 40 par la juridiction régionale. Sur ces 40 requêtes auprès de la nouvelle juridiction, 21 décisions ont abouti à une libération conditionnelle ou à un placement extérieur. Mais une décision a été infirmée par la juridiction nationale. 7 requêtes ont été ajournées à 2002, 13 ont été rejetées. Le journal précise : « La moitié des demandeurs ont bénéficié d’une libération conditionnelle ou d’un placement extérieur. La proportion des décisions positives est toutefois plus élevée dès lors qu’on y ajoute les trois décisions d’ajournement avec cycles probatoires de permissions de sortir prononcées à l’égard des réclusionnaires criminels à perpétuité. En effet la moitié des demandes ont émané de RCP commués ou non commués, dont plusieurs avaient déjà fait l’objet d’une ou de multiples propositions de libération conditionnelle avant l’entrée en vigueur de la réforme. Pour beaucoup d’entre eux, quelle que soit l’intensité, souvent élevée, des efforts de réadaptation sociale manifestés, continue de se poser la question clé de la persistance de leur dangerosité criminologique. » [8] Ces chiffres et ces avis émanaient du Juge de l’application des peines qui mettait par ailleurs en garde contre des illusions excessives : « l’année 2001 a été exceptionnelle à raison du rattrapage qu’elle a permis d’opérer. » Le juge incitait les condamnés à des efforts prolongés et sérieux de réadaptation sociale, à la préparation d’un projet de vie solide pour l’après-prison, l’un et l’autre témoignant d’une évolution positive de la personnalité.

Quand ? avril 2002 n°18

Le journal offrait par ailleurs une fiche-type des différentes pièces qui devaient figurer au dossier. Toujours pour aider les détenus à abréger leurs longues années de détention, le périodique explique également la marche à suivre pour obtenir une commutation de peine auprès du Chef de l’Etat.

Les informations médicales pour une population vieillissante

Avec l’aide de praticiens, les rédacteurs proposent des chroniques sur les maladies rencontrées dans une prison où la population vieillit : sur l’angine et ses complications nécessitant le recours aux antibiotiques, sur la cataracte qui peut survenir après l’âge de 60 ans, sur la névralgie faciale ( l’article débute ainsi : “vous avez plus de 50 ans et vous ressentez de vlolentes douleurs d’un seul côté de la face…”), sur la maladie de Parkinson (“elle débute souvent entre 50 et 60 ans” ( n°12, mars 2001), sur la lithiase biliaire et la lithiase urinaire Les conseils prodigués visent à alerter les détenus sur les symptômes qui annoncent telle ou telle maladie et sur les traitements qui seront alors mis en oeuvre. Dans le n°8, est présentée une interview du médecin du centre, un ancien visiteur de prison. Médecin disposant d’un cabinet en ville et à mi-temps dans le centre pénitentiaire et dans la maison d’arrêt de Caen, il rappelle les notables progrès de la médecine carcérale depuis la loi de 1994 qui avait donné la responsabilité des soins derrière les murs au CHU, à l’hôpital. Il mentionne les difficultés de quelques patients handicapés, hémiplégiques qui, à ses yeux, devraient bénéficier d’une grâce médicale, n’ont plus leur place en détention, ni à l’hôpital de Fresnes. Il s’attarde également sur les troubles psychiatriques : “Les maladies les plus importantes en prison sont les maladies psychiatriques. Il y a beaucoup de troubles du comportement, beaucoup de gens en prison qui, il y peut-etre 20 ans, auraient été en asile et c’est vrai que la prison joue un petit peu un rôle pour certaines personnes entre la prison et l’asile. Ils sont à la limité et les psychiatres ont estimé qu’ils étaient responsables. Le SMPR commence, il teste, il tâtonne, ils ont de la place, du personnel… L’hôpital psychiatrique n’est pas réservé aux fous dangereux.” Il aborde ensuite deux maladies qui préoccupent fort les détenus et font l’objet de plusieurs articles dans le périodique : l’hépatite C et le Sida. Il indique que l’hépatite C se transmet principalement par les seringues en usage chez les toxicomanes, mais qu’une distribution de seringues en détention lui semble impossible puisque l’usage de drogue y est prohibé. Des tests de dépistage du Sida sont proposés aux arrivants. Souvent ils en ont déjà eu en maison d’arrêt. En écho à cette interview, le numéro suivant présente une maladie rare, la maladie de Strümpell-Lorrain, une dégénérescence de la moelle épinière et de l’Association qui aide les personnes atteintes et encourage la recherche. Cette présentation est suivie du témoignage d’un détenu atteint de cette maladie. Le vieillissement et la question de la sexualité sont abordés par un détenu du bâtiment B dans le numéro 14 de juillet 2001 : “C’est une question de vie ou de mort. Après une bonne décennie d’incarcération, je me rends bien compte que j’ai de plus en plus de mal à avoir des désirs… Mon corps se vieillit et ne réagit plus. Je le sens mourir et mon sexe devient inutile (…). Pour garder ou pour tenter de garder le désir, pour sentir mon corps vivre encore et vibrer, j’ai fait des efforts pour m’investir de pensées et d’envies sur des positions particulières en faisant du yoga. Mon corps réagissant à ces caresses de certaines positions yoga, je les renouvelle autant que je peux comme si c’était le dernier signe avant la mort… ( bien que les rhumatismes me rappellent à l’ordre). Je peux dire que c’est à ce prix là que je peux garder un semblant de puissance virile, savoir que je me plais encore, que j’existe avec le plaisir du yoga. C’est cher payé !”

Quand ? avril 2002 n°18

En avril 2002, l’éditorial signale une “avancée” dans l’application des peines puisque, depuis l’entrée en vigueur le 4 mars d’une nouvelle loi sur les droits des malades, souvent appelée loi Kouchner, il est prévu qu’une peine pouvait être suspendue si le pronostic vital d’un détenu était engagé. Quelques prisonniers de Caen étaient atteints de pathologies graves et pouvaient espérer être mis en liberté s’ils pouvaient fournir deux attestations médicales au juge de l’application des peines.

Tensions en détention

Le périodique est très prudent sur ces questions. Une consigne du Directeur interdit de parler des surveillants. Les relations entre détenus ne sont évoquées que par des allusions, par exemple à l’occasion de l’élection du bureau d’un club. Le journal veut tisser du lien, appelle souvent à la solidarité et évite de susciter des divisions. Un texte toutefois laisse à penser que des hiérarchies internes se sont créées, certains détenus cumulant les postes de travail, au point d’être traités de “prévôts”, ces anciens responsables de dortoirs et d’ateliers que les réformateurs pénitentiaires de 1945 eurent bien du mal à faire disparaître des grandes maisons centrales. Le texte est signé du nom d’un détenu et est titré : “Pour tous les prévôts qui se reconnaîtront dans ces lignes.” Il a pour sous titre : “Les anciens se sont battus pour les conditions de détention et de vie, pour l’hygiène et contre l’archaïsme du système carcéral.” “Alors les gars du C.P. de Caen, respectez vos codétenus, arrêtez de vous prendre pour les patrons des prévôts, regardez-vous dans un miroir et surtout pour certains, rappelez-vous quand vous êtes arrivés, vous étiez tous petits et vous vouliez participer aux activités socio-culturelles et sportives. Aujourd’hui vous voulez mettre des barrières pour éloigner les autres détenus, pour rester en gourbi restreint, vous tirez toutes les ficelles à vous, en croyant je ne sais quoi !!!… Arrêtez de vous comporter en charognards, personne ne vous demande de faire les prévôts ! Sachez que les juges sont dehors et que vous mêmes, êtes détenus aussi… Même si vous avez une activité avec des rencontres privilégiées avec M. Cordier et M. Daumas cela ne vous donne pas le droit de cracher sur les autres à moins que votre collaboration soit plus importante qu’une occupation au sein d’une association prévue pour tous les détenus… Vos comportements dans diverses activités troublent beaucoup plus le système de détention que de vouloir faire taire les gens… Comme les postes en détention certains cumulent plusieurs emplois genre atelier + self, ils n’ont même pas le temps de se laver qu’ils se retrouvent à donner le manger…). Balayeurs + self etc… Ils ont encore la serpillière à la main qu’ils entrent dans le self pour servir… Donc, vous aussi, messieurs, arrêtez de vous prendre pour des indispensables en croyant que d’avoir deux balais vous sortirez plus vite !!! Bien sûr dans ce système en croyant que tout est parfait et fonctionne très bien on ferme un peu les yeux et pendant ce temps les types rejetés en arrivent aux cachets pour évacuer le stress (n°9, septembre 2000).

A plusieurs reprises, le périodique évoque les conflits entre certains détenus et l’assistante sociale qui suit leur dossier. Ils souhaitent en changer. Le directeur, le chef du service d’insertion et de probation (SPIP) , le juge d’application des peines ne savent pas trop comment régler cette question et ont tendance à se renvoyer la responsabilité. Les rédacteurs évoquent la désespérance de quelques détenus, prêts à laisser tomber tous les efforts de réinsertion, si cette relation essentielle n’est pas modifiée. Comme le journal avait évoqué à plusieurs reprises des tensions entre travailleurs sociaux et détenus, le n°18 du mois de mai 2002 consacre un long dossier au Service pénitentiaire d’Insertion et de probation (SPIP) avec une interview de ses deux responsables et un organigramme. Ce service avait été institué par un décret d’avril 1999 et mutualisait tous les services sociaux, tant intérieurs à la prison, qu’extérieurs.

A l’occasion des interviews des personnels d’encadrement, les détenus de la rédaction parviennent à mentionner certaines de leurs doléances. Il en est ainsi sur les « salaires de misère » versés par les entreprises concessionnaires, sur le taux de calcaire dans l’eau, les viandes mal cuites, l’absence d’eau chaude dans les étages du quartier A, l’absence de rampe pour les handicapés en fauteuil au bâtiment A…

Quand ? avril 2002 n°18

Lors d’un entretien avec le surveillant chef, ce dernier évoque l’évolution du climat au sein de la détention : « J’ai constaté une relâche, mais non totale. Je trouve que, aussi bien au niveau du personnel que de la population pénale, c’est beaucoup plus bon enfant. Par contre il n’y a quasiment plus de respect. (…)Vous n’avez pas le droit de sortir pour une majorité, mais vous avez droit à quasiment tout. Il y a une libéralisation qui s’est faite, mais par contre les mentalités ont complètement changé. Ca en devient inquiétant, à mon avis, parce qu’au niveau des détenus, il n’y a plus de cohésion. Entre eux, il y a un manque de solidarité, c’est chacun pour soi. » [9]

Les espérances d’un JAP

“S’agissant des longues peines, ce qui m’a frappé et me donne des raisons d’espérer, c’est de constater que des détenus qui ont commis des actes très graves, horribles, finissent au fil des années par changer. Le détenu en centre pénitentiaire dispose d’une relative liberté de mouvement, e en général un travail assuré, se voit offrir une gamme d’activités très large. Les incidents disciplinaires y sont rares. Le condamné se dit qu’il est là pour de nombreuses années et qu’il vaut mieux utiliser son temps utilement comme par exemple apprendre à mieux lire et écrire, se former, se passionner pour des activités enrichissantes. Le fond de sa personnalité ne changera peut-être complètement, mais il découvrira d’autres horizons, pourra se préparer à reprendre sa place dans la société. Un véritable travail éducatif peut être entrepris ici. Le régime du centre de détention est fondé sur la confiance qui conditionne la construction du régime d’individualisation de la peine. Si le détenu commence à fournir des efforts substantiels de réinsertion sociale, il peut espérer à partir de 1/3 de peine et dès lors qu’il fait l’objet d’appréciations positives tant des experts que du personnel de l’Administration pénitentiaire, bénéficier de l’octroi de permissions de sortir.” [10]

Conclusion provisoire

Le périodique Quand ? est un reflet, certes imparfait, des débats et espoirs qui parcourent la détention d’un centre de détention au moment où une fenêtre de réforme pénitentiaire s’est entrouverte. Des avancées notables en matière de grâces médicales et de libérations conditionnelles sont soulignées. mais le ton change avec l’élection présidentielle de 2002. Il est plus question d’insécurité, d’ouverture de nouvelles places de prison et du maintien des périodes de sûrteté pour les longues peines. Il conviendrait de comparer les articles sur l’univers carcéral, si nombreux durent les années 2000-2002, avec d’autres publications et des périodes ultérieures. Le ton est assez libre et témoigne d’une attention soutenus à des débats de société susceptibles d’influer grandement sur le devenir des prisonniers de Caen.

Jean-Claude Vimont

[1] Quand ? n°9, septembre 2000

[2] Quand ? n°9, septembre 2000, n°12, mars 2001

[3] Quand ? n°9, septembre 2000

[4] Quand ? n°12, avril 2010

[5] Quand n°9, septembre 2000

[6] n°8 de Quand ?, juillet 2000

[7] Quand ? n°9, septembre 2000

[8] Quand ? n°18, avril 2002

[9] Quand ? n°15, septembre 2001

[10] Quand, n°12, mars 2001

  •  
  •  
  •  

SUIVRE :

Ce carnet présente l'actualité de la plateforme Criminocorpus, de son musée, de sa revue et de ses partenaires.

LA LETTRE MENSUELLE D’INFORMATION

Votre abonnement gratuit

CONTACT

Envoyez-nous un message

POUR SIGNALER UN CONTENU

Si vous avez repéré sur ce blog un contenu protégé par des droits d’auteur, merci de nous le signaler afin qu’il soit supprimé dans les meilleurs délais.

A PROPOS DES DEMANDES D’AIDE…

Recherches biographiques et généalogiques

LA LETTRE MENSUELLE D’INFORMATION

Votre abonnement gratuit

CONTACT

Envoyez-nous un message

CRIMINOCORPUS, LES 10 DERNIERS ARTICLES DE LA REVUE

CRIMINOCORPUS, LES 10 DERNIERS ARTICLES DE LA PLATEFORME

PLUS

CRIMINOCORPUS, LES 10 DERNIERS ARTICLES DE LA REVUE

CRIMINOCORPUS, LES 10 DERNIERS ARTICLES DE LA PLATEFORME

CARNET PARTENAIRE : HLJPGENRE

Site géré par le CLAMOR (UMS 3726 CNRS - ministère de la Justice)