CLAIRE GIRAULT: PASSIONS, RAISON, VOLONTE

14 December 2008

CLAIRE GIRAULT: PASSIONS, RAISON, VOLONTE   
Dimanche, 14 Décembre 2008 18:06

L'eurodéputée Claire Gibault à la baguette : Un grand concert à Strasbourg pour marquer la fin de la Présidence française.
Sur invitation au palais des Congrès et de la musique de Strasbourg et en direct ce mardi à 20 heures sur la chaîne Mezzo avec retransmission dans 39 pays, ainsi que sur France Inter et plusieurs radios européennes : l'eurodéputée Claire Gibault retrouve sa baguette de Chef d'orchestre pour diriger un événement musical en clôture de la Présidence française de l'Union européenne.
Afin de célébrer l'Europe dans toute sa richesse et sa diversité, Claire Gibault a souhaité rassembler pour un concert Berlioz la Philharmonie slovaque, entourée de 200 enfants choristes venus de plusieurs pays de l'Union (Allemagne, Belgique, Espagne, Estonie, France, Grande-Bretagne, Italie, Pologne), de la cantatrice italienne Anna Caterina Antonacci et de l'altiste français Arnaud Thorette.
CLAIRE GIBAULT, ou une femme de combats intelligents
Elle pétille d'intelligence et d'esprit. Elle a du charme Elle a surtout des convictions qu'elle défend avec volonté (et non simple volontarisme), avec force, avec énergie. Avec un art de marier passion et raison. Une femme de combats, Claire !


Je suis une « féministe réaliste mais déterminée » confiait-elle à Relatio en février dernier avant même le lancement de Relatio-Europe. « La force de convaincre et de me battre, je l'ai apprise dans mon métier. Il faut une patience, un entêtement, un amour des autres, le goût des autres, pour réussir, pour subsister, pour s'imposer ». C'est elle qui le dit. Et elle est ce qu'elle dit.
Elle sait aussi d'expérience que dans ce monde qui reste marqué par un machisme pathologique, une femme doit se battre plus qu'un homme à qualités égales pour s'imposer. Ne reste-t-elle pas la seule femme chef d'orchestre en France ? Et même si le Parlement européen compte plus de femmes que bien des parlements nationaux, elle reste réaliste : « Au parlement européen, il y a, à peu près 40 % de femmes, mais à la tête des grandes commissions il n'y a que deux femmes sur 25 commissions. Beaucoup reste à faire. Pourtant il paraît que nous travaillons plus et mieux que les hommes ! »
Anecdote : « En juillet 1969, après mes études, j'ai dirigé pour la première fois. C'était un événement puisque j'étais à la une d'un journal parisien avec pour titre « Une femme a dirigé un orchestre », juste sous la grande photo de Neil Armstrong marchant sur la Lune ! »
Les choses n'ont guère évoluées depuis 1969 « Qu'une femme soit chef ou qu'elle ait du talent pour une place de soliste c'est presque toujours la même chose : le jury ou l'orchestre lui préfère un homme, même si sa prestation derrière un paravent a été jugée remarquable. Dès qu'on sait que c'est une musicienne qui joue, c'est un homme qui est sélectionné. »
Elle développe : « Il faut bien reconnaître qu'en dépit de progrès incontestables, bien des postes liés au pouvoir et à la gloire sont tenus par des hommes...A Lyon, en dépit du soutien total de l'équipe de direction, j'ai dû affronter quelques mouvements de ...surprises et d'humeur.. Certains réagissaient violemment à ma nomination, refusaient de jouer sous la direction d'une femme. Lorsque je passais au milieu des musiciens pour arriver jusqu'à mon pupitre, il m'arrivait d'entendre des choses très désagréables sur mon passage...J'avais l'impression que beaucoup de mon énergie passait à me défendre en tant que femme. C'est vrai.
Mais au final, tout s'est bien passé. La vie est un combat. On peut aussi en tirer des satisfactions... En fait, j'aime la complémentarité homme-femme. Je me sens différente des hommes, mais j'ai envie d'en faire autant et aussi bien voire mieux qu'eux. Je ne cherche pas à ressembler à un homme, mais je pense que la pensée des femmes vaut bien celle des hommes. »
Est-ce parce qu'elle est femme ? Elle dirige rarement en France (en 2006, elle a été boudée par l'orchestre symphonique de Radio France...). Mais Claire Gibault est régulièrement invitée au Covent Garden de Londres, à la Scala de Milan, à la Philharmonique de Berlin ou à l'Opéra de Washington... « Il faut être juste :la discrimination envers les femmes dans les milieux musicaux n'est pas que française : elle est très courante dans le grand pays de la musique qu'est l'Autriche, par exemple ».
Claire GIBAULT est entrée en politique par la culture. « Pour agir ». Et par une volonté : « ne pas être esclave de mon ego, mais servir les autres dans la mesure de mes moyens ». La musique « reste plus qu'un métier, une passion », mais au Parlement européen elle a trouvé un terrain à la mesure de sa « soif de faire »
Explications : « Quand j'étais directrice de l'orchestre de Chambéry, j'allais défendre les budgets de l'orchestre devant le conseil municipal, devant le conseil général, régional, au ministère. Au sein de l'opéra de Lyon, j'ai appris avec l'équipe de direction, ce qu'est une politique culturelle, les dialogues avec les comités d'entreprise, la conception d'une politique de grande qualité et populaire à la fois. La formation du public. L'avenir même du genre de l'opéra et des concerts. C'est extrêmement mobilisateur de faire une vraie politique culturelle et c'est là que j'ai compris que la culture ce n'est pas un luxe qui vient après le nécessaire. Que l'état spirituel, culturel de l'homme, est vraiment le soubassement des événements historiques. Que dans l'épanouissement sensible d'un être l'affectif, passait par l'émotion artistique, pour qu'il puisse devenir un individu complet. Donc, je n'avais pas du tout envie de me lancer en politique, je n'en avais pas l'idée, mais on est venue me demander. On m'a fait une proposition intéressante, et en un mois, sans y avoir rêvé le matin, je me suis retrouvée député européen et je ne le regrette pas du tout. Je m'y sens bien et utile »
Elle siège bien sûr dans la commission la commission « culture et éducation », Avec une préoccupation : culture et éducation doivent devenir des priorités européennes et doivent être liées.
Plaidoyer : « C'est difficile parce qu'au nom de la subsidiarité culture et éducation dépendent d'abord des Etats voire, en Allemagne notamment, des Régions, des Länder. Mais il importe de donner des impulsions, des orientations, de tirer parti des meilleures expériences faites en Europe...Je pense qu'il faut commencer l'éducation artistique dès la maternelle et qu'elle doit commencer par la pratique artistique. L'éducation artistique c'est charnel, ce n'est pas cérébral, c'est d'abord, faire, éprouver et ensuite théoriser. Donc, je suis un peu sur ma faim, quand je vois le rapport qui a été remis à Christine Albanel et Xavier Darcos. J'ai envie de dialoguer avec eux, pour leur apporter aussi mon expérience. Je dis qu'on n'étudie pas l'histoire du sport à la maternelle. On fait du sport. Et on n'étudie pas l'histoire de la sexologie avant d'en avoir l'expérience. »
De l'éveil à la musique : « C'est comme la grammaire et la lecture...Il faut vraiment commencer par la PRATIQUE artistique à la maternelle, danser, chanter, parce que cela à un impact sur la réunification du corps, du coeur et de l'esprit ce qui est fondamental. Plus un enfant est libre dans son corps et dans son esprit, plus il est réunifié, et mieux il peut apprendre les autres choses. Actuellement on parle beaucoup du rôle de la musique dans la mémoire, et la mémorisation, on l'évoque même dans la prévention de la maladie d'Alzheimer. Donc on est toujours encore dans cette dissociation des fonctions, comme si, il y avait le corps et le sport et puis les apprentissages fondamentaux pour la tête. Et grâce à l'éducation artistique, on peut réunifier toutes ces fonctions ».
Et elle parle d'expérience ! « A 4 ans j'ai commencé le solfège, à 5 ans le piano, à 7 ans le violon, à 10 ans la musique de chambre, et à 13 ans la direction d'orchestre...Mon père musicien y est pour quelque chose... »
Autre priorité : le statut social des artistes.
« Personne n'a été aussi loin que je l'ai été, et la Commission essaie de mettre en application ce que j'ai préconisé dans mon rapport sur la mobilité et sur le statut social des artistes. Donc, j'en suis extrêmement fière. Ça va concerner tous les artistes européens, leur retraite, la sécurité sociale, le chômage...
Il y a des disparités considérables d'un pays à l'autre...Nous sommes là aussi face aux questions que pose la subsidiarité, mais j'ai obtenu une coordination, une amorce d'harmonisation. Actuellement des artistes qui voyagent en Europe, cotisent pour le chômage, pour leur retraite, mais n'en reçoivent jamais rien en retour. C'est-à-dire le pays d'accueil, le pays où ils ont des engagements professionnels les taxent sur leur cachet, mais ne reversent jamais rien au pays d'origine. Résultat : les artistes arrivent à la fin de leur vie, sans retraite....Et ce sont ceux qui voyagent le plus, qui en pâtissent le plus.

Or, la mobilité des artistes, la mobilité en général d'ailleurs, est un sujet fondamental en Europe. J'espère et je pense avoir été entendue : nous en verrons des applications concrètes prochainement. En tout cas, je suis chaque semaine les avancements de ces projets. J'avais souhaité une carte de sécurité sociale européenne à puce électronique sur laquelle serait reconstituée toute la carrière des artistes avec tous leurs employeurs, vérifier par la même occasion qu'ils ont bien payé leur impôts, en contrepartie. Ce ne sera pas dans un premier temps, une carte de cette nature, mais, il va y avoir une sorte de passeport européen sur lequel tout sera répertorié »
Ce qui est vrai pour les musiciens l'est aussi pour les écrivains, pour les sportifs de haut niveau, pour des chercheurs, pour des cadres... Pour beaucoup de monde ...
« Vous voyez qu'il y a beaucoup de travail. Et c'est cela l'Europe concrète, l'Europe des citoyens, l'Europe qui améliore les vies quotidiennes des gens. Je suis passionnée par mes activités au parlement européen »
Elle siège aussi bien sûr au sein de la « commission du droit DES femmes et de l'égalité des genres ». Cette « féministe moderne » va d'ailleurs présenter cette semaine un rapport sur « l'égalité de traitement et d'accès entre les hommes et les femmes dans les arts du spectacle ». Un rapport qui s'ajoute à d'autres. « Quand je m'engage, je m'engage à fond. Au parlement européen, j'ai le sentiment de faire un travail utile, qui concerne directement la vie des gens. » : les femmes et la pauvreté, la conciliation de la vie professionnelle et familiale ou les femmes migrantes. Sans oublier, bien sûr, ses travaux très concrets sur l'adoption internationale.
Là encore elle sait de quoi elle parle et pourquoi elle veut ce qu'elle veut : Elle est mère adoptive de deux enfants togolais.
Son seul vrai problème, c'est celui de tous les actifs : le temps... Le temps, mesure de la vie... Entre pupitres, hémicycles, salles de réunions, actions politiques, vie familiale, engagements associatifs, trains et avions et ...réflexion. Comme elle déteste les fausses notes en tout, elle s'investit à fond dans tout ce qu'elle entreprend. Dans ses fosses d'orchestre, au Parlement européen et ailleurs.
D'ailleurs, comme si son agenda n'était pas déjà surchargé, elle s'est lancée dans la bataille des municipales à Paris (elle est conseillère municipale dans la 4e circonscription de Paris) et dans les élections législatives de juin 2007. Elle anime avec Jean-Marie Cavada « Avenir démocrate », un forum d'actions politiques qui fédère des déçus de Bayrou.
Son grand regret : celui « de ne pas donné assez d'attention, de temps et d'affection à ceux qui en sollicitent » de sa part.
L'une de ses citations préférée : cette phrase de Victor Hugo qui vaut « commandement » : «La volonté trouve, la liberté choisit. Trouver et choisir, c'est penser.» Or, pour elle, penser doit conduire à l'agir.
Elle semble conduire sa vie comme elle mène ses musiciens : « avec une attention et une autorité sans faille ». Ce qui ne l'empêche évidemment pas d'aimer tous les fruits de la vie. Et de voir de la lumière même quand les ombres dominent : « Ce que je déteste le plus, c'est le pessimisme »...
DR.