Michel Sounalet, 62 ans, ancien condamné à perpétuité ressuscité dans l'humanitaire, l'écriture et la photographie. Chaînes de s
Michel Sounalet, 62 ans, ancien condamné à perpétuité ressuscité dans l'humanitaire, l'écriture et la photographie. Chaînes de solidarité .
Sans un regard en arrière, souriant à peine aux acclamations de ses
codétenus, il a traversé la cour de la centrale de Riom au terme de sa perpétuité. Au moment où, sous l'oeil placide d'un surveillant, il déchirait dans un ultime geste de révolte son carnet d'interdit de séjour, Michel Sounalet, 57 ans dont 33 en prison, ne se faisait guère d'illusions: «C'est le noir le plus complet. J'ai peur de la vie pour avoir usé mes forces à la retenir. Je ne possède rien: ni toit, ni formation, ni économies, ni projet qui puisse m'assurer une survie matérielle dans un monde que j'ai à peine eu le temps de connaître et que je ne saurai peut-être pas déchiffrer"» C'était il y a cinq ans. On le laissait alors dans une petite maison mise à sa disposition par une association caritative, avec ses souvenirs et son idéal de liberté. Sans illusions sur ses chances d'y parvenir.
Aujourd'hui, il est installé dans un petit studio du centre-ville de Clermont-Ferrand, mène une vie d'ascète à 72 F par jour, au titre de l'allocation de solidarité. Toujours ce visage impassible, ces lèvres serrées, stigmates des années de prison, «masque composé patiemment pour [se] protéger de tout ce qui pouvait atteindre au vif du coeur et de l'esprit». Soudain, un sourire: l'homme a donné un sens à sa liberté. Dans ce logement aux allures monacales, des photos signées Sounalet dorment dans des caisses dans l'attente d'une prochaine exposition, matière première d'un album à paraître. Des portraits d'enfants rwandais, visages graves et regards intenses, accompagnés de petits textes qui résument le parcours de chacun. Césarie, Emmanuel, Pacifique, Innocent: «Un prénom que j'aime bien», précise-t-il, l'air de rien. Jean-de-Dieu: «Nos relations ont connu des débuts difficiles car il avait dans l'esprit de me rouler. Pourtant, j'ai eu un coup de coeur. Sans doute une sorte d'identification à l'enfant rebelle que j'avais été.»
Michel Sounalet est né dans un «taudis sans eau ni électricité» dans une petite ville du Sud-Ouest dont il a gardé l'accent. Il raconte son enfance comme s'il en avait été spectateur autant qu'acteur. Une suite de jours sans pain, un père prisonnier de guerre en Haute-Silésie, une mère qui s'épuise pour nourrir ses deux petits et dont il «regrette de ne pas avoir été assez proche». Dès l'adolescence, il fuit. A 14 ans, il s'engage dans la marine, à 17 ans, dans l'armée, «sert» en Indochine puis en Algérie. «Sans doute aurais-je pu surmonter le handicap de l'enfance si ensuite je n'avais été sous les armes dans cette ignoble guerre coloniale, qui devait me laisser des séquelles profondes en même temps qu'elle désagrégeait le soubassement moral et affectif de ma personnalité.» Huit jours après sa démobilisation, il quitte parents et amis, évoque un hypothétique emploi pour fuir encore, «travaillant pour des salaires de misère, ébauchant des relations superficielles, des amours sans lendemain et rarement consommés, [se] réfugiant dans une solitude à peu près totale». Puis ce sont les premiers larcins: «Ce que je faisais m'apparaissait comme une revanche sur le système d'exploitation établi par le pouvoir bourgeois. D'ailleurs, n'était-ce pas pour défendre ce système que l'on nous avait envoyés commettre toutes sortes de crimes outre-mer?» Premiers braquages. Dix ans de travaux forcés. Il en purge six, replonge de suite.
Le 21 juin 1965, un jury de notables alsaciens rendant la justice «au nom de Dieu» (Concordat oblige) décèle un suppôt de Satan sous les traits de Michel Sounalet. «Regard froid, pli cruel entre les yeux et sourire narquois sur les lèvres», fantasme le chroniqueur local. On l'interroge sur sa part de butin, jamais retrouvée. L'enquête évoque une jeune fille à laquelle il serait venu en aide, mais il refuse de livrer son identité. Au terme d'une instruction expéditive (quatre mois), d'un procès bâclé (une demi-journée) et d'un délibéré éclair (trois quarts d'heure), les jurés le condamnent à la prison à vie.
En quartier de sécurité, aux heures les plus noires de la pénitentiaire, Michel Sounalet cultive sa révolte. «J'ai trouvé la force de surmonter des situations qui paraissaient sans espoir dans ce que la pensée a produit de meilleur à travers la littérature.». Il apprend l'espagnol au contact de trafiquants de drogue colombiens, pour lire Neruda et Cervantes dans le texte. «La prison rend égoïste. Lui, non, raconte Christian Molinier, un de ses anciens compagnons de détention devenu éditeur. Sa façon d'être était le reflet de sa personnalité, sans cesse pleine d'attention pour l'humain.»
C'est de l'espagnol que viendra le salut: à sa libération, il donne un coup de main à Pharmaciens sans frontières, sympathise avec le président d'alors, Jean-Louis Machuron: «Un jour qu'il était dans mon bureau, raconte ce dernier, tous les téléphones se sont mis à sonner. Je lui ai demandé de décrocher, il est resté bras ballants. Il m'a dit: "Excuse, mais ça, je ne sais pas faire"» Au printemps 1994, Machuron cherche des boucliers humains pour protéger un orphelinat assiégé à Kigali. Khelil Aïtout, jeune travailleur social, se porte volontaire, à condition d'être accompagné. «Je m'imaginais partir avec un jeune un peu fou, et Machu me présente le seul qui acceptait, ce vieux mec qui avait fait l'Algérie et l'Indo. Arrivé là-bas, j'ai eu peur pour lui. Il n'avait pas conduit depuis trente ans. Les fax, téléphones, talkies, il ne savait pas s'en servir" Mais il a décidé de rester avec les enfants, et là, j'ai découvert un homme qui savait prendre des risques calculés et des responsabilités. Un homme que je considère désormais un peu comme mon père.» Michel renaît dans le regard des autres: «Me voilà en charge d'âmes, et pour quelqu'un qui n'a jamais eu d'autre objet que lui-même, c'est quelque chose de bouleversant.» L'opération Turquoise met un terme prématuré à son travail. Contraint de se retirer, il rédige un livre saisissant. Cite Georges Hendel en exergue: «Il faut vivre jusqu'à demain, jusqu'au bout au-dedans de soi, le coeur incendié" Il faut voir la mort et vivre.»
Six mois plus tard, retour au Rwanda. Il recherche les survivants des familles de deux cents orphelins et organise leur placement. Au passage, il les photographie. «Je tenais à ce qu'ils gardent un souvenir de ce moment et qu'ils aient l'image la plus valorisante d'eux-mêmes.» Il croise Kouchner, qui voit dans son travail un «modèle pour les instances internationales». Et aussi Barbara Hendricks, qui lui rédige une préface pour son album où elle le remercie «de nous mettre en face de nos responsabilités de solidarité avec les plus innocentes et vulnérables créatures de Dieu». Tout cela ne l'empêche pas de douter; à Noël dernier, mandaté par une association, il a pris le volant d'une 205 et parcouru 11 000 kilomètres sur des routes enneigées pour recenser les besoins de deux orphelinats perdus en Moldavie roumaine. «C'était un défi" Je voulais savoir si je serais capable de le faire.» Enfin, il se reprend à rêver: «Au contact de ces enfants, j'ai tout oublié. J'avais un autre monde sous les yeux. Pour la première fois, je suis sorti complètement de moi-même.». photo RÉMI LAINÉ Michel Sounalet en 9 dates 6 novembre 1935 Naissance à Marmande (Lot-et-Garonne).
1949 Novice sur un cargo.
Janvier 1953 Soldat dans l'infanterie coloniale en Indochine, puis en Algérie.
Octobre 1957 Première condamnation, dix ans de travaux forcés.
2 mai 1992 Libéré de la maison centrale de Riom.
Mai 1994 Première mission au Rwanda.
Octobre 1994 Publication de Vivre jusqu'à demain, éditions l'Anabase.
Novembre 1994 Deuxième mission au Rwanda.
Juillet 1996 Splendeurs et misères des enfants du Rwanda.