PRENDRE UN ENFANT PAR LE COEUR POUR QUE LES FUTURS ADULTES DU SUD-EST ASIATIQUE PUISSENT SE REAPPROPRIER LEUR AVENIR

5 June 1993

PRENDRE UN ENFANT PAR LE COEUR POUR QUE LES FUTURS ADULTES DU SUD-EST ASIATIQUE PUISSENT SE REAPPROPRIER LEUR AVENIR

NEUWELS,FABIENNE

Page 9

Samedi 5 juin 1993

PARRAINAGE

PRENDRE UN ENFANT PAR LE COEUR

Pour que les futurs adultes du sud-est asiatique puissent se réapproprier leur avenir

Tout le monde ne cède pas à la tentation du repli sur soi, et c'est heureux. Comme ceux qui parrainent un enfant du bout du monde, né dans un pays où les conditions d'existence lui permettent à peine de survivre. Une prise en charge financière mais également affective et morale. Cet engagement, souvent discret, est une affaire de coeur bien plus qu'une affaire d'argent. Et un pari sur l'avenir.

En Belgique, deux associations, sont ainsi à la recherche de parrains et marraines pour des enfants du sud-est asiatique. Ce sont les antennes belges d'associations françaises: les Enfants du Mekong et l'Aspeca (Association de parrainage d'enfants du Cambodge).

REDONNER CONFIANCE

AUX «ENFANTS DU MEKONG»

Le Mekong est ce long fleuve qui fait frontière entre la Birmanie, le Laos et la Thaïlande, traverse le Cambodge puis se jette dans la mer de Chine en formant un immense delta au Viêt-nam. Pour venir en aide aux enfants des régions avoisinantes est fondée, à Paris, en 1958, l'association Enfants du Mekong (EDM). Sa vocation: aider les nombreux enfants, orphelins, abandonnés, mutilés et généralement non alphabétisés. En Thaïlande, on les trouve surtout dans les camps de réfugiés, ou à Bangkok où sévit - et croît! - la prostitution enfantine, l'exploitation des enfants dans les usines clandestines. Au Viêt-nam, la situation intérieure est pénible au point que, en certains endroits, plus de la moitié des enfants sont sous-alimentés, non scolarisés, en voie de clochardisation. Quant au Cambodge, tout est à reconstruire, tant ce pays a été saigné à mort par le génocide perpétré entre 1975 et 1979 par les Khmers rouges et la guerre des mines. Au Laos, la situation ne vaut guère mieux, les «rapatriés» y vivent dans des conditions précaires.

Yves Meaudre, directeur général d'Enfants du Mekong, récemment de passage à Bruxelles au retour d'un séjour au Cambodge, confiait à Jean-Pierre Rodembourg, délégué de la section belge: Les Khmers rouges n'ont pas changé depuis le génocide, malgré la présence des forces de l'ONU. La corruption règne en maître, la population manque de solidarité et l'anarchie est effrayante. La philosophie d'EDM, risquée, est précisément de découvrir des Cambodgiens intègres, courageux, qui prennent des initiatives pour aider leurs compatriotes, pour monter des écoles, des centres sanitaires dans des régions à hauts risques... On leur vient en aide et on soutient leurs projets. Une des difficultés est de collaborer avec les autorités locales, de connaître à fond le système pour faire avancer nos dossiers.

Ce que demande EDM pour ces enfants? Simplement l'indispensable: qu'ils puissent se couvrir décemment, se nourrir, étudier, apprendre un métier, être accueillis et réconfortés...

Pratiquement, le parrain occidental peut choisir d'aider individuellement un enfant se trouvant dans un camp de réfugiés, un orphelinat ou une école: 770 FB par mois, l'équivalent d'un demi-plein d'essence, dit Jean-Pierre Rodembourg. Mais il peut aussi, par des dons, préférer un parrainage collectif de plusieurs enfants.

À l'heure actuelle, l'association développe plus de 50 programmes locaux et plus de 15.000 parrainages. Mais au-delà de ces chiffres, impressionnants, EDM ne se veut pas une grand machine anonyme où les dons se dissolvent on ne sait où. EDM privilégie la transparence ainsi que les relations personnelles entre un filleul et son parrain, qui peut ainsi s'assurer de l'efficacité de son action. Yves Meaudre souligne: On joue la carte de la confiance. On dit tout au parrain, même quand cela ne marche pas. C'est un gage de mobilisation. L'information passe notamment par le canal d'une revue bimestrielle qui relate l'évolution des différents projets.

L'aventure d'EDM a débuté par un coup de coeur, un de ces élans irrésistibles qui seuls parviennent à faire évoluer le cours des choses. En 1958, René Péchard, un chirurgien dentiste prisonnier civil dans les camps vietnamiens et libéré par la Croix-Rouge, découvre, au Laos, le problème des enfants eurasiens abandonnés. Pour eux, l'avenir était en France où ils pouvaient être accueillis et adoptés. René Péchard s'intéresse également aux orphelins victimes des Khmers rouges et aux «boat people» vietnamiens...

Depuis, le système du parrainage s'est avéré salvateur pour un grand nombre d'enfants. Cent parrains, poursuit Yves Meaudre, ce sont cent programmes pour cent enfants. Un enfant est un programme à lui tout seul. Le lien entre lui et son parrain perdurera en raison de la fidélité affective. C'est l'aventure d'un adulte, en Europe, et d'un petit enfant lointain qu'il verra évoluer et grandir grâce aux échanges de lettres. Une correspondance primordiale: l'enfant y parle de sa vie, de ses problèmes, de ses espoirs. Cet échange épistolaire concrétise la véritable complicité entre deux êtres humains.

Permettre à l'enfant de s'en sortir par son éducation, est la véritable finalité d'Enfants du Mekong, explique encore Yves Meaudre: Si on dit - et on le dit! - à la population: le Cambodge est un pays fichu, il est effectivement fichu et donc condamné. EDM met en place des programmes à long terme. En construisant des écoles, nous jouons l'avenir des Cambodgiens sur 15 ans, car nous croyons que dans 15 ans, ce pays ressuscitera... C'est pour cela que nous investissons, aujourd'hui, sur les enfants. Les Cambodgiens doivent reprennent confiance en eux.

À l'écouter, à suivre son regard, on sent bien qu'une partie de lui-même vibre quelque part, là-bas, au bord du Mekong...

«ASPECA»: AIDER ET AIMER

UN ENFANT AU CAMBODGE

Pour Anne Magotteaux, jeune médecin et responsable belge de l'Association de parrainage d'enfants du Cambodge (Aspeca, siège à Paris), la démarche est similaire. On privilégie les relations individuelles parrains/enfants. Mais toujours dans un immense respect de l'enfant pour lui-même, là où il est, dans sa propre culture.

Lorsqu'elle évoque son cheminement, les yeux de la jeune femme s'emplissent d'une infinie tendresse: J'ai entendu, à la radio, une interview de Charles Fejtö, directeur du programme de l'Aspeca. J'ai été immédiatement touchée et j'ai parrainé une petite fille. Cette expérience m'a fait découvrir des sentiments maternels que je ne me connaissais pas jusqu'alors.

Le parrainage, pour l'Aspeca, «permet à une personne ou à une famille européenne de prendre en charge un ou plusieurs enfants au Cambodge afin d'assurer sur place l'encadrement scolaire, médical et les besoins fondamentaux (trois repas équilibrés par jour) de jeunes enfants orphelins ou délaissés. Nombreux sont les gosses qui éviteront ainsi le circuit de la prostitution ou du travail clandestin. Ce parrainage se concrétise par le versement de 130 FF (ñ 780 FB) ou 150 FF (900 FB) par mois par enfant.»

Tous les deux mois, Charles Fetjö se rend au Cambodge pour y assurer l'échange du courrier et de photos entre parrains et filleuls (il y en a près de 3.000 actuellement) et suivre les autres projets de l'Aspeca. Telle la construction de deux villages d'une quinzaine de maisons chacun où vivent de cinq à huit enfants. C'est une mère «adoptive» khmère qui se charge de les éduquer, tout en exerçant un autre métier. Pour les soutenir, on peut verser 250 FF par mois.

Le village, explique Anne Magotteaux, doit être l'avenir du parrainage puisqu'il poursuit les mêmes objectifs: permettre à des orphelins de grandir et d'apprendre dans des conditions satisfaisantes en reconstituant une structure familiale autour d'eux, chose impossible dans un orphelinat de 300 enfants.

Plus récemment, par le projet de foyers pour les enfants des rues (250 FF par mois, soit 1.500 FB)) qui essaient de survivre par la mendicité, on leur propose un contrat: ils reçoivent de quoi se nourrir s'ils viennent à l'école. La création d'une cité universitaire (300 FF, soit 1.800 FB) fait également partie des priorités de l'Aspeca.

Enfin, autre projet qu'Anne Magotteaux a fort à coeur, les «club écoles»: Des classes européennes cotisent pour un enfant au Cambodge et correspondent avec lui. C'est le cas de l'École Prince Baudouin de Woluwe-Saint-Lambert. Le Cambodge ne se reconstruira que par les enfants, conclut-elle.

FABIENNE NEUWELS

(1) Enfants du Mekong, Jean-Pierre Rodembourg, 12 avenue Léon Tombu, 1200 Bruxelles; tél. 02-771.39.05.

(2) Aspeca, Anne Magotteaux, 8 avenue de l'Aquilon, bte 4, 1200 Bruxelles; tél. 02-762.35.59.

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