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Soixante-quatorze enfants roumains pourront rejoindre leurs parents adoptifs en France
Les parents adoptifs de quatre-vingt-douze autres enfants attendent encore cependant l’autorisation du gouvernement roumain.
L’affaire des « bébés roumains »
Publié le 8 août 2016 par AFOR
Aujourd’hui, lundi 8 août 2016, cela fait 28 ans que 6 familles adoptantes françaises prenaient l’avion décollant de Bucarest (Roumanie) pour revenir en France. Cette date, le 08-08-88, composée du chiffre symbolique « 8 » (symbole de la chance) marquait la fin d’une très longue attente, et son dénouement heureux, puisque ces parents revenaient enfin accompagnés par leurs enfants adoptifs.
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Image extraite de « Bucarest 1986-1988, poétique d’une histoire » © L.G.
« L’affaire des bébés roumains » est nommée ainsi par la presse française au début des années quatre-vingt (on retrouve notamment ce titre dans le Quotidien de Paris, du 3 Juin 1983) et rend compte de la situation de blocage des adoptions d’enfants roumains par des adoptants internationaux, entre les années quatre-vingt et les années quatre-vingt dix.
En janvier 1988, la mobilisation de l’association Enfance & Familles d’Adoption (E.F.A.), fédération nationale des nombreuses associations départementales de familles adoptives, débloque la situation pour quelques candidats à l’adoption pour l’été 1988 en interpellant les politiques. On retrouve un communiqué du Ministère des Affaires Etrangères datant du 20 juillet 1988, où l’on apprend que, selon la déclaration du porte parole du Quai d’Orsay, le « Conseil d’Etat roumain a approuvé l’adoption de 74 enfants roumains par des familles françaises.» (1)
Le communiqué précise que « l’affaire des « bébés roumains » » débute environ entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt. Epoque où des avocats roumains ont tenté de « monnayer » des enfants roumains en s’adressant à des couples français souhaitant avoir un enfant. Les couples intéressés sont allés dans les orphelinats à afin de rencontrer « leur » futur enfant, pour ensuite entamer une procédure d’adoption. Si selon l’article, certains « ont pu choisir », il est à noter que cela ne s’est pas systématiquement passé ainsi. Certains se sont vus proposer un enfant, sans qu’il y ait de choix préalable de leur part.
Cependant, un retournement de situation survient pour des raisons politiques et diplomatiques en février 1989, puisque tous les dossiers sont refusés, soient 80 dossiers ouverts à l’époque : « la décision roumaine du rejet des dossiers a été notifiée quelques jours après que l’ambassadeur de Roumanie ait effectué une démarche au département pour demander que la France se désolidarise du projet suédois déposé à la commission des droits de l’homme concernant les Droits de l’homme en Roumanie et se plaindre de l’image de son pays donnée par les médias français » (2).
Malgré toutes les mobilisations, il faudra attendre la révolution de décembre 1989 pour voir arriver les autres enfants roumains dans leurs familles adoptives.
Yves Denéchère rend parfaitement compte de la complexité du cas Roumain dans son ouvrage Des enfants venus de loin (paru chez Armand Colin, 2011) dans lequel il montre comment les candidats à l’adoption ont été instrumentalisés à des fins économiques et diplomatiques. L’historien revient sur ces aspects dans le documentaire « Adoption : le choix des nations » de Anne Georget (2015 / 87min) :
« La restriction dans l’adoption internationale comme marqueur de tension diplomatique est une méthode éprouvée. A la fin des années 70, Nicolae Ceausescu en Roumanie utilise l’adoption internationale pour obtenir des devises et rembourser la dette du pays. Le dictateur force les futurs parents à venir dépenser leur argent à Bucarest, mais refuse de signer les visas de sortie des enfants. [Yves Denéchère, historien, intervient ] « A partir du moment où Mitterrand arrive au pouvoir en 81 et qu’il établit un discours très critique de la France vis-à- vis de la Roumanie, et bien ces enfants roumains déjà apparentés, déjà promis à des familles françaises, vont devenir un véritable enjeu diplomatique. Plus la France dénonce les atteintes au droit de l’homme en Roumanie, plus Ceausescu ferme « le robinet ». Donc là, on est tout à fait dans un exemple où les enfants et l’adoption internationale se trouvent être clairement un enjeu de relation bilatérale et diplomatique. » (transcription, 8’00min et 8’50min)
L’un des avantages que présente l’adoption des enfants roumains est plus controversé, le journaliste Georges Dupoy rend compte de la vision de Nicolae Ceausescu sur l’adoption internationale dans le Quotidien de Paris : « Dans sa grande clairvoyance, il s’est rendu compte que beaucoup de familles occidentales cherchaient à adopter des enfants et qu’il y avait pénurie sur le marché. Or il y en a en Roumanie, pas des basanés, mais de beaux bébés blonds aux yeux bleus. Ça vaut cher ça »(1). De plus, l’adoption des enfants roumains présente un autre avantage non négligeable comparée aux autres pays ouverts à l’adoption internationale : l’âge des parents adoptants n’est pas limité à 35 ans : « La Roumanie est donc une opportunité rare, parfois la seule qui est vraiment ouverte à certains candidats, d’où leur extrême détermination pour arriver à un résultat. » (3)
Cependant, les adoptions ne se déroulent pas comme prévues. Si, au début des années quatre-vingt c’est l’Etat Roumain qui fait barrage à l’adoption, Yves Denéchère rapporte que certains dossiers semblent bloqués par la France. Des candidats à l’adoption d’un nourrisson de vingt mois, déjà rencontré à de multiples reprises sur place, n’arrivent pas à concrétiser l’adoption, selon eux, à cause de « l’absence d’attestation française [empêchant] les dossiers d’être étudiés par le Conseil d’Etat » (4). Parfois, certains parents arrivent à accueillir leur enfant en moins d’un an, comme le cas de Sandra et Jef qui « ramènent de Roumanie un petit Ioan en mai 1988 » alors qu’ils l’avaient rencontré en février 1987. Mais, pour de nombreux autres candidats, l’attente est plus longue, et surtout non expliquée. Ce qui amène de nombreux parents adoptifs (exemple d’un courrier ci-dessous) à dénoncer cette situation en écrivant aux hommes politiques et à l’Etat pour les soutenir et les aider à sortir les enfants le plus rapidement possible.
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Exemple d’une demande d’aide pour sortir d’une enfant adoptée © L.G.
Même si les enfants adoptés ne sont pas toujours négligés (comme certains l’observent à Bucarest), la gestion des crèches roumaines se fait à la mesure d’un pays en crise sous la dictature. Yves Denéchère rapporte très justement les conséquences de cette situation endurée par les parents adoptants : « Tous les témoignages d’adoptants publiés ou recueillis dans le cadre de cette étude, insistent sur les fins de semaines passées en Roumanie pour voir l’enfant qui leur a été promis lors de leur premier séjour. L’attente étant longue, parfois dix-huit mois, entre la première rencontre et la sortie de l’enfant vers la France, les couples ayant affaire à la même crèche s’organisent : chaque fin de semaine, l’un d’entre eux fait le voyage, entretient les relations avec la crèche, apporte des médicaments, des habits, rapporte des nouvelles et des photos des enfants des autres. » (5)
C’est ce dont traite la vidéo réalisée par Laura Giraud Bucarest 1986-1988. Poétique d’une histoire (2008, 3?30?), qui résulte du montage d’images tournées par différents parents adoptants de la petite Laura et d’autres orphelins. Dans ce travail, Laura Giraud tente de rendre compte de la douleur de ses parents adoptifs due à cette séparation et à cette longue attente. La vidéaste tente également de montrer la difficulté pour la personne adoptée adulte de se réapproprier son histoire, et de comprendre la culture de son pays d’origine (notamment à travers le langage) en jouant avec le montage ou avec le détournement des sous-titres (parfois incorrectes traduisant un décalage).
Bucarest 1986-1988, poétique d’une histoire (2008, 3?30?) © L.G.
Elle aborde également ce sujet dans le projet éditorial Headhouse dont la couverture est entièrement composée d’un montage des différentes notes postées par les parents adoptants s’étant rendus en Roumanie.
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Laura Giraud, Headhouse, 2008 et détail © L.G.
Comme on peut le voir dans la note ci-dessus, un couple d’amis (eux-mêmes parents adoptants) rapporte aux parents adoptifs les premiers pas de leur enfant auxquels ils n’ont pu assister. Cette note évoque parfaitement ce que cette attente signifiait du point de vue des parents adoptants, privés des étapes fondamentales du développement de « leur » enfant. Ces couples devaient interrompre à plusieurs reprises cette relation naissante limitée à quelques jours. Certains rapportent qu’au début du séjour, le nourrisson n’était absolument pas réceptif. Les regards et la complicité ne commençaient à s’établir que le départ approchant.
Ces départs successifs, comme un nouvel acte d’abandon, signifiait être privé de cette unique et fragile relation des premiers temps que tout parent connait, avec l’assurance en moins de pouvoir revoir ni de pouvoir ramener cet enfant, laissé dans un pays en crise. Angoissant, frustrant et culpabilisant, on peut se demander quelle conséquence a eut ce climat psychologique sur la relation parentale et la construction filiale.
Beaucoup disent : « On ne naît pas parent, on le devient »… comment se sont construites ces familles avec de tels départs ? Certains enfants ont des souvenirs, d’autre non. Certains couples n’ont pas survécu à cette épreuve, confrontant les enfants à une deuxième forme d’abandon.
Trop souvent, les enfants adoptés sont jugés des enfants à problèmes à cause de leur parcours, de ce « faux départ » comme certains l’appellent. Mais on s’interroge trop peu souvent sur l’incidence que possède cette étape de l’adoption pour les parents, de la formation d’un dossier à l’obtention de la garde plénière.
Que représente l’adoption et ses conséquences pour ces candidats ?
Quelles conséquences ont ces premiers temps de construction familiale à l’échelle, non pas seulement de l’enfant, mais des couples, voire des familles ?
Il ne s’agit pas d’amoindrir l’intérêt porté au bien-être des enfants, mais au contraire de s’interroger sur la responsabilité des adultes mise en cause dans ces procédures d’adoption, des autorités à l’ensemble de la cellule familiale. Avec l’affaire des « bébés roumains », certains couples ont été laissés à eux-mêmes pour adopter, les menant à des dérives au détriment de l’intérêt de l’enfant. Que ce soient pour les parents ayant acheté et choisi un enfant, ou pour ceux témoignant avoir connu « deux ans de grossesse » : Comment sont-ils devenus « parents » ? Et comment ces choix ont-ils influencé l’épanouissement de la personne adoptée ?
Nabu
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Coupure de journal scannée, fonds L.G.
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Après dix ans de
procédure
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Soixante-quatorze enfants roumains pourront rejoindre
leurs parents adoptifs en France
Soixante-quatorze enfants roumains qui attendent, certains depuis plusieurs années, de rejoindre leurs parents adoptifs français vont enfin pouvoir gagner la France, a annoncé, le mardi 19 juillet [1988], le ministère des affaires étrangères à Paris. Le conseil d’Etat roumain a, en effet, approuvé leur adoption et la liste des enfants concernés a été remise ces jours derniers par l’ambassade de Roumanie au Quai d’Orsay.
L’affaire des « bébés roumains » remonte à une dizaine d’années. A l’époque, des avocats roumains étaient venus en France proposer à des couples d’adopter, moyennant une certaine somme, des enfants roumains. Les candidats à l’adoption se sont rendus en Roumanie, où ils ont pu choisir comme on leur promettait « leur » enfant avant d’ouvrir une procédure d’adoption. Les difficultés sont apparues quand ils ont demandé une sortie du territoire. Malgré de nombreuses démarches, la Roumanie s’opposait au départ des enfants.
Alerté, le gouvernement français est intervenu à plusieurs reprises. En 1982, M. Michel Jobert, alors ministre du commerce extérieur, avait évoqué ce sujet, lors d’une visite officielle à Bucarest, repris depuis lors à chaque visite d’un responsable de la diplomatie française en Roumanie ou de la diplomatie roumaine en France.
En avril 1983, M. Claude Cheyson, alors ministre des relations extérieures, avait obtenu le déblocage de quelques cas. Mme Mitterrand elle-même était intervenue sur ce problème. En novembre dernier, M. Didier Bariani avait déploré, en recevant au quai d’Orsay son homologue roumain, M. Aurel Duma, la « difficile passe » que traversaient les relations franco-roumaines, tant sur le plan économique et culturel que dans le domaine des droits de l’homme. Il avait émis le souhait que « du côté roumain, les services compétents ne suscitent pas de faux espoirs » chez les parents candidats à l’adoption.
En février dernier, le gouvernement roumain a fait savoir qu’il n’accepterait plus à l’avenir l’ouverture de nouveaux dossiers d’adoption. Les parents adoptifs de quatre-vingt-douze autres enfants attendent encore cependant l’autorisation du gouvernement roumain.
Ch. CH.
Source : inconnue. 1988.
***
(1) Communiqué du ministère des affaires étrangères, in le site des Discours publics, 20 juillet 1988 [en ligne] : http://discours.vie-publique.fr/notices/882016600.html
(2) Le Quotidien de Paris, « Roumanie, Ceau?escu vend même les enfants abandonnés » par Georges Dupoy, 21 avril 1983 cité in Denéchère, Yves, L’adoption des ” enfants de Ceausescu ” : Un fait social au coeur des relations franco-roumaines dans les années 1980. Les cahiers d’Histoire Immédiate, Groupe de recherche en histoire immédiate, 2013, Dossier Spécial Roumanie, pp.171-184.
(3) Denéchère, Yves, Des enfants venus de loin, Armand Colin, 2011.
Extraits consultables ici [non paginé]
(4) Ibid.
(5) Denéchère, Yves, L’adoption des ” enfants de Ceausescu ” : Un fait social au coeur des relations franco-roumaines dans les années 1980. Les cahiers d’Histoire Imm´ediate, Groupe de recherche en histoire imm´ediate, 2013, Dossier Spécial Roumanie, pp.171-184.
Pour en savoir plus :
Site internet des travaux de Laura Giraud : http://bigarrure.weebly.com/
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