Adoption et trafic d'enfants en Roumanie: «Jamais je n’ai remis en question la légalité de l’adoption», confie une maman adoptive
Adoption et trafic d'enfants en Roumanie: «Jamais je n’ai remis en question la légalité de l’adoption», confie une maman adoptive
Photo Clara Loiseau
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Samedi, 7 décembre 2024 00:00
MISE À JOUR Samedi, 7 décembre 2024 00:00
Une Québécoise de Châteauguay a découvert avoir été victime de trafic d'enfant en 1991 lorsqu'elle a été adoptée en Roumanie. Le Journal et J.E. l'ont suivie au long de son enquête pour retrouver son identité jusque dans son pays natal.
Une Québécoise est encore sous le choc de savoir que sa fille adoptée en Roumanie il a plus de 30 ans a été victime de trafic d’enfants sous un faux nom.
«J’ai fait ce qu’on me disait de faire. Les papiers étaient corrects. Ça a beau être tout croche en Roumanie en ce temps-là, jamais je n’aurais cru qu’un juge puisse faire ça...», laisse tomber Danielle Harrison, qui a encore du mal à croire qu'elle a adopté sa fille sous l’identité d’un autre enfant.
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«On n’a pas été capable d’avoir des enfants, alors on s’est tourné vers l’adoption, d’abord au Québec, mais on nous a dit qu’il y avait 8 ans d’attente», explique-t-elle.
Vu la longueur du processus, elle et son mari ont décidé de tourner la page, jusqu’à ce qu’ils entendent parler de la Roumanie et de l’histoire d’une femme de Vancouver qui venait d’arriver au Canada avec un bébé.
Danielle Harrison et sa fille, Roxana Pamela Harrison, à Bucarest, en Roumanie en juillet 1991. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison
Un jour, elle tombe sur un article de journal relatant l’histoire d’une Canadienne venant d’adopter un bébé roumain. Elle retrouve la femme qui lui fournit le contact d’un avocat roumain pouvant aider à la réalisation du projet.
«Je l’ai appelé et il m’a dit que je pouvais venir quatre jours plus tard», explique Mme Harrison.
C’est donc en juillet 1991 qu'elle a pris l’avion pour aller à Bucarest, en Roumanie.
«À l’aéroport, j’avais pas mes bagages encore et des hommes m’approchaient avec des photos de bébés [pour essayer de les vendre]», se souvient-elle.
Elle a mis les pieds dans la capitale du pays un lundi, le lendemain, l’avocat lui mettait Roxana Pamela dans les bras.
La mère de l'avocat qui a vendu Roxana Pamela Harrison la tient dans ses bras, à Targoviste, en Roumanie, en juillet 1991. Courtoisie Roxana Pamela Harrison
«C’était un bébé blond aux yeux bleus. J’ai alors réalisé que c’est le bébé de quelqu’un que je vais prendre. Ça m’a refroidie, souffle Mme Harrison. J’ai dit [à l’avocat]: je vais y penser, mais il n’en était pas question.»
Des cigarettes et du coke
Mais en regardant le bébé qu’elle berçait pour la première fois, elle s’est aussi rendu compte qu’elle tenait «le plus beau bébé du monde».
Roxana Pamela Harrison lorsqu'elle n'avait que quelques mois, en Roumanie, juste avant d'être adoptée par des Québécois. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison
«Je me souviens, c’est exactement ce que j’ai écrit dans le journal dans lequel je racontais le voyage pour mon mari qui était resté au Canada», poursuit Mme Harrison.
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Avant que l’adoption soit officielle, il y avait tout de même une série d’étapes à réaliser.
«Il fallait faire le test du sida, passer un autre test médical à l’hôpital qui m’a coûté des paquets de cigarettes pour avoir le rapport médical. Pour le passeport de la petite, ça a été trois cannettes de coke», se souvient-elle, expliquant ne pas avoir été surprise.
La Roumanie était connue pour ses problèmes de corruption, et ne parlant pas le roumain, difficile d’échanger avec les interlocuteurs qui ne parlaient presque pas un mot d’anglais.
«C’est justement pour ça qu’on a choisi de passer par un avocat. On voulait que ce soit fait comme il faut, pour être en règle et 32 ans plus tard, tu te fais dire qu’elle a été prise, elle a été vendue, ce n’est pas son nom, pas sa date de naissance. Là, on se trouve pas mal naïf», laisse tomber tristement Mme Harrison.
L'avocat (à droite) qui a vendu Roxana Pamela sous une autre identité, avec son épouse (femme à droite) qui tient Roxana Pamela et la mère de la femme de l'avocat qui tient un autre bébé en juillet 1991 à Bucarest, en Roumanie. Photo fournie par Roxana Pamela Harrison
Pour Roxana Pamela, il est clair que sa mère tombe des nues.
«Il était impossible pour elle de savoir que le certificat de naissance qu’a remis le gouvernement roumain à mon adoption était faux», affirme-t-elle.
Adoption légale
Même si, à l’époque, l’adoption à l’international en était à ses balbutiements, impossible de rentrer au Québec avec un bébé sans respecter les règles d’adoption. Il fallait avoir un jugement roumain, un examen et un rapport médical approuvé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des papiers d’immigration, souligne Mme Harrison.
Danielle Harrison et sa fille, Roxana Pamela Harrison, à Châteauguay. Photo courtoisie
«Jamais je n’ai remis en question la légalité de l’adoption parce qu’on avait un avocat, des papiers, et qu’on était passé devant le juge, mais on se demande forcément pourquoi il fallait donner des cigarettes ou du coke», affirme-t-elle.
À force de se faire mener d’un bord à l’autre pendant les deux semaines de son voyage en Roumanie, Mme Harrison convient toutefois avoir eu quelques questionnements.
«Tant que l’avion n’avait pas décollé, j’attendais toujours qu’il se passe de quoi. Quand l’avion a décollé, je pleurais!», se souvient-elle.
Adoption et trafic d'enfants en Roumanie