L’organisme la Famille adoptive française, soupçonné de trafic d’enfants dans les années 60, annonce sa fermeture
L’organisme la Famille adoptive
française, soupçonné de trafic d’enfants
dans les années 60, annonce sa
fermeture
L’un des plus anciens organismes privés habilités pour l’adoption, en France
et à l’étranger, s’apprête à fermer en catimini. L’annonce, glissée sur leur
site internet le 24 janvier, inquiète les personnes adoptées, dont beaucoup
nées sous X, sur le devenir des dossiers d’archives.
L'organisme d’adoption privé a servi d’intermédiaire pour 8 500 enfants en
France et à l’étranger depuis 1946. (Cyril Zannettacci/VU' pour Libération)
par Marie Piquemal et Willy Le Devin
publié le 21 février 2025 à 17h23
L’information est à peine visible sur leur site internet : un message daté du 24
janvier. «Chers amis […], pour la Famille adoptive française [FAF, ndlr] et les Nids de
Paris, cette année 2025 sera très particulière», entame Damien O’Neill, le président
de cet organisme privé d’adoption, ayant servi d’intermédiaire pour 8 500 enfants en
France et à l’étranger depuis 1946. Dans le paragraphe suivant, Damien O’Neill
annonce la fermeture imminente et inattendue de l’organisme. «Nous sommes
contraints de mettre un terme à cette magnifique aventure.»
L’explication, écrit-il, est liée aux «évolutions de fond vécues par l’adoption
internationale ces dernières décennies et plus récemment, la réforme de l’adoption
menée en France depuis 2000, ont profondément modifié l’environnement de notre
action. Après maintes démarches et malgré toute la tristesse qu’une telle décision a
provoquée, notre Conseil d’administration a conclu que notre association, en dépit de
ses atouts, n’avait plus la possibilité d’agir dans ce contexte actuel».
Plusieurs enquêtes de «Libé»
Cette annonce, restée jusque-là inaperçue, surprend. Dans le compte-rendu de la
dernière assemblée générale de mars 2024, il n’était pas question de fermeture. «Le
département de Paris nous a accordé une autorisation pour cinq ans, ce qui permet
de continuer à accompagner la recherche des origines des personnes adoptées via
les Nids de Paris ou la FAF», se réjouissait la directrice. Sollicitée par téléphone, elle
se braque : «Je n’ai rien à vous dire, contactez le président», puis retourne la
question : «D’après vous, pourquoi ferme-t-on ?» «Je ne vais pas parler aux
journalistes et surtout pas à Libération vu ce que vous avez écrit.»
Les hommes de la rue du Bac
Aux origines de l’adoption de la jeune Inès Chatin, une procédure nébuleuse et une
«entremetteuse»
Dans plusieurs articles récents, Libération a documenté l’existence de trafics de
bébés nés sous X, qui ont prospéré sur le sol français pendant des dizaines
d’années, surtout avant la légalisation de l’avortement en 1975. En janvier, Libé a
également révélé des documents issus des archives départementales de la
Charente-Maritime, qui suggèrent qu’un trafic d’enfants a pu se dérouler au sein de
la pouponnière gérée par la FAF à Bourcefranc-le-Chapus, entre 1964 et 1975. Ces
documents retracent notamment l’histoire d’Inès Chatin, adoptée de manière
irrégulière via la FAF, et qui avait dénoncé dans notre journal cet été, les crimes
sexuels que lui ont infligés, lorsqu’elle était enfant, plusieurs figures intellectuelles
françaises. Nos articles ont-ils précipité la fermeture de la Famille adoptive française,
comme le laisse entendre la directrice ? Si oui, pour quelles raisons ? A cette heure,
le président Damien O’Neill n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.
Galères sans fin pour obtenir les dossiers
Sur les réseaux sociaux, des personnes adoptées s’agitent. «Il faut faire circuler
l’information au plus vite. A cause des archives. Il y a un énorme enjeu», avance Erik
Pilardeau du collectif «Nés sous X d’ici et d’ailleurs». Aux interrogations des enfants
adoptés, la FAF se montre rassurante : «Nous allons bien entendu nous conformer
[aux] directives et verser les dossiers des enfants aux archives du département de
Paris, siège de l’association. Il est envisagé un versement des dossiers pour fin mai
2025.»
«Qui va vérifier que tout sera versé et qu’un ménage ne sera pas fait entre-temps
?» s’inquiète le collectif. Les craintes des uns et des autres s’expliquent aussi par les
expériences passées, ces galères sans fin pour obtenir les pièces de leurs dossiers.
Plusieurs anciens organismes privés d’adoption, comme la Fondation d’Heucqueville
ou les Berceaux de Rouen, ont fermé leurs portes sans transmettre l’intégralité de
leurs archives. «Le nombre d’organismes pour lesquels on nous répond que les
archives ont été inondées, brûlées…» expose Françoise Kriguer, ancienne sage-
femme qui a passé une grande partie de sa vie à la recherche des dossiers
d’adoptés et des vies qu’ils contiennent.
Pour l’heure, les quatre salariés de la FAF sont mobilisés «afin de gérer dans les
meilleures conditions la préparation et le transfert de ces dossiers» et
accompagner «les demandes de consultations de dossiers jusqu’au 15 mars
2025», avant le transfert aux archives départementales.
Pour aller plus loin :